La liberté d’expression d’un fonctionnaire

2022-12-21 - Blogue

Fearless advice, loyal implementation.

C’est la devise officieuse des fonctionnaires fédéraux.

Conseiller sans crainte, mettre en oeuvre de façon loyale.

Dans le contexte actuel de retour forcé au bureau, plusieurs d’entre nous avons exprimé publiquement notre désaccord, parfois avec force.

Je me suis demandé : quelles sont les limites à notre liberté d’expression? Qu’est-ce qu’on peut dire publiquement? Qu’est-ce qu’on ne peut pas dire?

Voici les fruits de ma réflexion.

Les politiques officielles

Code de valeurs et d’éthique

D’abord, le document qui doit d’abord guider nos actions est le Code de valeurs et d’éthique du secteur public.

Selon ce code, nous sommes tenus de respecter les valeurs suivantes :

  • respect de la démocratie
  • respect envers les personnes
  • intégrité
  • intendance
  • excellence

Nos prises de paroles, publiques ou non, doivent s’inspirer de ces valeurs. Il est de notre devoir, entre autres, de tenter d’améliorer la fonction publique, de bien utiliser les fonds publics, et de tout mettre en oeuvre pour mieux servir la population.

Obligation de loyauté

Ensuite, nous avons une obligation de loyauté envers notre employeur. Cette obligation implique l’obligation de ne pas critiquer publiquement le gouvernement, avec quelques exceptions.

Si on ne peut pas critiquer publiquement les décisions du gouvernement, peut-on quand même en discuter?

Si nous pensons qu’une décision ou une façon de faire nuit à la qualité des services, avons-nous le devoir de parler, ou l’obligation de se taire?

Travailler de façon ouverte (open by default)

Finalement, les normes relatives au numérique nous enjoignent à « travailler ouvertement par défaut ».

Nous sommes encouragés à partager avec nos collègues et avec le public nos façons de faire, nos recherches, nos réflexions.

Une telle ouverture, à mon avis, nécessite d’être à l’aise avec les contradictions, les inconforts, les divergences d’opinion. Le débat public, en somme. Nous n’avons pas tous la même façon de voir les choses, et c’est tant mieux. Certaines perspectives sont dominantes, d’autres moins.

Si on veut vraiment travailler de façon ouverte, il faut permettre à diverses voix de se faire attendre, y compris les voix dissidentes, les voix minoritaires, racialisées ou marginalisées.

Les politiques officielles, en somme, nous envoient dans plusieurs directions : nous avons un devoir de loyauté, mais nous avons également le devoir de travailler à améliorer les choses, de façon ouverte, transparente et inclusive.

Servir le public

Pour qui je travaille

Officiellement, mon employeur est le gouvernement. Mais dans mon coeur et dans ma tête, mon employeur, c’est la population. Le gouvernement, c’est nous tous et toutes - ou en tout cas, ça devrait l’être. En théorie, le gouvernement en place est l’expression de la volonté populaire - au final, c’est le public qu’on sert.

Je n’entrerai pas un débat sur la légitimité de nos institutions démocratiques; mais dans mon contexte de fonctionnaire, mon travail, c’est d’essayer que les gens obtiennent ce dont ils ont besoin de leur gouvernement. Un service, une allocation, une information, de l’aide, de la protection - peu importe où je me trouve dans l’appareil gouvernemental, mon travail est de mener à bien la mission de l’État, pour les gens.

L’intérêt du public avant tout

Ainsi, lorsqu’il est question de la liberté de parole du fonctionnaire, pour moi, le principe suprême est l’intérêt du public.

Si une décision, une approche ou une procédure nuit à notre capacité à servir le public, nous avons la responsabilité d’en parler, de façon ouverte et transparente, et de contribuer à améliorer les choses.

Mes lignes directrices

En m’appuyant sur ces réflexions, voici les lignes directrices que je me donne, pour cet espace de publication et pour mes autres prises de parole publiques.

Politique, mais jamais partisan

Dès qu’on parle de services publics, de niveau de vie, de barrières à l’accès, on est dans l’arène politique. On parle parfois de ces idées comme si elles allaient de soi, mais il s’agit bel et bien de choix qui se discutent, publiquement.

Même fonctionnaires, nous sommes des personnes, en chair et en os : nous avons une vision du monde, des espoirs pour l’avenir, des valeurs individuelles. Et ces idées teintent notre façon de voir notre travail.

Ce que nous ne pouvons pas faire, par contre, c’est être partisan. Nous avons un devoir d’impartialité, et nous devons mettre en oeuvre la vision du gouvernement, peu importe le parti au pouvoir. Nous ne pouvons pas nous associer publiquement à un parti politique ou à un autre.

Politique au sens large, donc, mais jamais partisan.

Vouloir améliorer les choses

Dans quel but prend-on la parole? À mon sens, ça doit être dans le but d’améliorer quelque chose. L’objectif ne peut pas être “la critique pour la critique”. Débattre, discuter, remettre en cause, oui, mais dans le but d’arriver à quelque chose de mieux.

Cela doit évidemment se faire dans le respect des personnes et des institutions impliquées - le dénigrement n’a pas sa place. Mais je crois sincèrement qu’il est possible de discuter de tout, publiquement, si l’intention est d’améliorer la situation.

Honnête, mais humble

Nous avons tous et toutes des visions différentes. Certaines personnes (j’en suis!) s’expriment avec plus de force que d’autres. La tentation est parfois forte d’écouter la personne la plus vocale dans la pièce.

Je suis un homme dans la quarantaine, blanc, bilingue, hétérosexuel, cisgenre, habitant dans la région de la capitale nationale : je sais pertinemment bien que ma voix est parmi les plus privilégiées. Pour moi, cela ne veut pas dire que je dois me taire - mais simplement que je dois faire place à d’autres voix, les écouter et les amplifier.

Il est nécessaire de faire preuve d’humilité. Ma vision des choses n’est pas la seule qui soit valable, et je peux très bien avoir tort. Pour moi, travailler et discuter de façon ouverte, c’est aussi ça : le dialogue, le choc des idées, le débat ne peut mener à des améliorations que si c’est fait de façon respectueuse, humble, et bienveillante.

En conclusion

Prendre la parole de façon publique comme fonctionnaire comporte sa part de risque. On s’expose à des représailles. On peut être catalogué comme “difficile”.

Mais pour ma part, je crois que le jeu en vaut la chandelle : si on ne partage pas nos réflexions en dehors de nos petites équipes, comment peut-on améliorer la machine gouvernementale? En discutant ouvertement, de façon respectueuse et bien intentionnée, on peut travailler à vraiment améliorer la fonction publique.

La population mérite qu’on le fasse.